Les Bassa ont adopté un régime clanique contrairement à d’autres peuples qui avaient un régime royal. Par clan, on avait un chef appelé Mbombog. Ainsi, la question qui suscite notre réflexion est celle de savoir qui est le Mbombog et quelle était son importance dans la société bassa précoloniale ? Trouver des éléments de réponse à cette question revient non seulement à présenter l’origine, les critères d’accession et d’initiation du Mbombog mais aussi de comprendre son apport dans la société Bassa précoloniale.
Présentation du Mbombog
A l’origine du Mbombog, l’étymologie du mot est composé de l’affixe Mbom signifiant front qui symbolise « ce qui est devant » voire même la chance, qu’elle soit bonne ou mauvaise ; et du Radical Mbog qui revoit à la fois à l’Univers, l’Unité ou encore le Fétiche. Avec et sans l’influence coloniale des nations judéo-chrétiennes d’Europe occidentale, le Mbombog a conservé une fonction cléricale, scientifique et judiciaire découlant d’une longue formation initiatique. Contrairement à ce qui se dit communément au Cameroun, il n’est pas toujours considéré comme patriarche. C’était dès lors le personnage le plus important du pays sans nécessairement être le plus âgé. Son pouvoir s’exerçait sur tous ceux qui lui étaient liés par le sang. Il était le détenteur du pouvoir divin incarné par les ancêtres. Le Mbog est le pouvoir de commandement dont les initiés Mbombog se voyaient investir pour parler au nom de leur communauté et la représenter partout. D’après le témoignage de Théodore MAYI MATIP, grand initié lui-même de la tradition Bassa, le Mbombog était celui qui avait une profonde connaissance des lois qui régissent le monde visible et invisible, il était gardien des répliques des ancêtres.
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Critères d’accession et rites d’initiation
Tout candidat à l’initiation de Mbog devait remplir quatre conditions pour être proclamé Mbombog. D’après le critère moral, il doit être un homme intègre tel que le prescrit la morale Bassa. Il doit être patient et tolérant et manifester à l’égard de lui-même et des autres un véritable don de soi : c’est-à-dire qu’un envieux, un colérique ou un vaniteux ne saurait être Mbombog. Il doit absolument respecter la morale Bassa. D’après le critère géographique, il doit être un homme, un natif, de condition libre (un Ngweles) comme le disent les Bassa. Un étranger ou une femme n’est jamais Mbombog. D’après le critère filial, il doit être capable de reconstruire son arbre généalogique et posséder une progéniture car les célibataires n’accèdent pas à la magistrature de Mbog. La sagesse qui se matérialise dans la pratique de la morale Bassa, l’état civil et la possession d’une progéniture sont donc les trois juges devant lesquels comparait tout candidat avant d’être admis à l’initiation. L’absence de l’un annule sa candidature. Mais lorsque ces trois conditions sont remplies le candidat accède à l’initiation proprement dite qui lui confère le pouvoir du Mbombog. Et d’après le critère de la réincarnation, bien que les trois premiers critères soient remplis, le candidat n’est pas Mbombog même s’il a été nommé depuis son jeune âge. Il doit remplir les conditions du premier récit de Mbog notamment celui de BEL YAMB.
Fonction du Mbombog dans la société bassa
Sur le plan socio-culturel, le Mbombog était chargé de faire régner la justice de l’Hilolombi, terme venant de celui de NLOMBI qui signifie ancien, vieux. D’après la tradition orale, ce terme est le nom que les ancêtres Bassa ont donné à l’invisible, à Dieu. Selon Theodore MAYI MATIP Hilolombi signifie le plus âgé des ancêtres. Nous pouvons dire que le Mbombog était chargé de faire régner la MAAT qui est à la fois l’ordre universel, l’harmonie, l’éthique… éthique qui consiste à agir en toutes circonstance en accord avec la conscience que l’on a de cet ordre universel ; il y’a ici un lien avec la pensée Egyptienne. Pour se faire, il accomplirait différentes taches en conformité avec les canaux ancestraux.
Vu sous le magister de la plus haute autorité spirituelle et temporelle, Le Mbombog pouvait officier, conseiller et consacrer. Il intervenait quand il fallait rétablir l’ordre cosmique, lorsque la société était frappée par les calamités naturelles, notamment la pluie diluvienne, les inondations, la sècheresse et autres épidémies souvent causées par les puissances maléfiques. C’est pourquoi il est qualifié de dépositaire de la puissance divine. Dans ces circonstances, le Mbombog convoquait toute la communauté villageoise à une grande messe de réconciliation appelée SAY. Au cours de la cérémonie du SAY, chaque malade se confessait et se repentait publiquement. Les ennemis et les personnes en conflit se pardonnaient mutuellement. Il présidait cette messe en tant que prêtre. Le SAY visait la purification des malades, l’éloignement de toutes influences, la déviation d’un danger et la protection contre tous les maléfices afin de ramener la prospérité, le bonheur, l’abondance et la chance. Les malades et les victimes de malédiction y étaient conviés. La cérémonie du SAY s’achevait par la bénédiction de tous les malades, bénédiction donnée par les patriarches qui rétablissaient l’équilibre de paix sociale. Le Mbombog avait le pouvoir de bénir ou de maudire. L’organisation sociale des Bassa était liée à leur culture. Le Mbombog patriarche, chef de lignage et gardien de tradition était le personnage central de cette culture. En effet, il est un grand voyant dans le cadre de ce qui relève du mysticisme. Il dirigeait les danses traditionnelles et mystiques. Le Mbombog disposait d’un savoir ou mieux d’une sagesse consacrée, reconnue. Raison pour laquelle il veillait sur les intérêts de la société avec l’accord de celle-ci. Il intervenait également dans la vie privée des membres pour leur procurer des instructions et recommandations utiles.
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Il débordait sa communauté clanique puisqu’il est lié aux Mbombog d’autres clans. Sur le plan politico-juridique, Il était le chef du clan et du lignage. Il n’était donc pas le chef de toute l’ethnie Bassa. En pays Bassa, un clan est vaste et peut avoir plusieurs lignages ayant à sa tête, un Mbombog. Ceci correspond au caractère segmentaire du peuple Bassa. Il lui incombait comme chef de clan de régler les palabres, les problèmes de concession et d’héritage, les litiges foncier. C’est lui qui entretenait les relations diplomatiques avec les tribus voisines, il présidait les tribunaux civils et militaires. Le Mbombog n’intervenait donc pas pour régler les problèmes mineurs et domestiques à l’instar des conflits conjugaux ; il avait le pouvoir de punir, de pardonner et de contraindre.
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Les sanctions infligées au contrevenant par le Mbombog allaient de la réprimande à la peine capitale. A ce premier niveau, il était aidé par la société secrète masculine appelée Ngee. Seul le Mbombog le plus gradé du Mbog, celui qui détenait le Hond Kena avait le droit de veto. Ce Mbombog pouvait prononcer la peine de mort ou faire bénéficier au coupable des circonstances atténuantes. Il n’était néanmoins pas un dictateur. A ce propos, il est noté qu’avant tout verdict le Mbombog écoutait tout le monde avec un sens du discernement profond. Toutes nouvelles lois étaient votées par l’assemblée des Bam Mbombog réunis dans une sorte de sénat appelé Nkaa Mbook. Ces lois avaient pour objectif une meilleure gestion communautaire. Au-delà de la paix qu’il prônait au sein de la société, l’unité du Mbog tendait à promouvoir l’unité de l’Homme Bassa.
Simon DUPONG