Malgré de multiples réunions déjà organisées dans les 10 villages impactés autour de ce vaste projet, les riverains doutent énormément de leur véritable implication et de la prise en compte de leurs légitimes revendications.
Il est 10h ce mardi 18 juin 2024 au célèbre village-carrefour de Mbebe dans l’arrondissement de Bot-makak, département du Nyong et Kellé. Plusieurs boutiques et bars sont fermés. Une effervescence au grand hangar qui reçoit au quotidien les vendeuses de nourriture : mets de poissons sous toutes les formes, viande de brousse, produits de champs entre autres, macabos, manioc et plantains.
Des jeunes hommes et femmes en chasubles bleus installés dans un coin reçoivent une dizaine de femmes alignées dans le calme et en ordre. Certaines autres en chasubles sillonnent l’autre versant du village sur l’axe qui mène vers Evodoula. Il faudrait préciser que Mbebe reçoit les passagers du tronçon Yaoundé-Nyanon en passant par Evodoula. Ceux qui viendraient par Boumnyebel vers Nyanon ou Bafia vont aussi s’arrêter à Mbebe pour une pause avant de traverser la Sanaga sur un pont construit à l’époque allemande qui présente déjà des signes de vétusté avancée.
Nous avons vite fait de penser à haute voix que c’était des agents d’Elecam qui étaient en plein dans une opération d’inscriptions sur les listes électorales. Actualité oblige. Très rapidement Serge Arnaud, riverain de Mbebe, passant par-là, nous corrige avec un sourire : « Les messieurs et dames en chasubles bleus sont des agents enquêteurs du projet KHPC. Ils sont en train de recenser les commerçants de ce marché ». Nous tombons donc à pic, en plein jour de recensement de celles et ceux qui font de ce lieu de vie, un arrêt obligatoire qui bientôt va simplement rester un lieu de mémoire.
Désintéressés et en plein échanges parfois nourris de cris et de rires, ce sont des visages inquiets et dubitatifs de certains riverains qui sont assis par petits groupes sur les vérandas de plusieurs maisons de Mbebe, dernier village du Nyong et Kellé au bord de la Sanaga faisant face sur l’autre rive au village Kikot qui se trouve être le 1er village de la Sanaga maritime sur cette Route Régionale. Dans leur conversation, ceux que nous avons trouvés sur place ont refusé d’aller participer à une réunion en cours au même moment à la chefferie du village à quelques km de ce grand carrefour.
« Leur réunion là fatiguent déjà, puisqu’au moment où nous attendons des agronomes, des spécialistes du cadastre et autres pour évaluer nos champs et nos terrains mis en valeur, on nous envoie des enquêteurs qui très souvent ne descendent même pas sur le terrain. Ils se fient à nos déclarations. Imaginez donc ces familles qui ne maîtrisent absolument rien de leurs limites, de leurs spéculations, de leurs biens…Il y a trop d’approximation dans ce que nous avons vu jusque-là » s’inquiète Mama Rosa, agricultrice et commerçante de Mbebe.
Les commerçants ne sont pas seuls revendicateurs. « Ici on choisit les commerçantes à répertorier, on ajoute des noms de non commerçantes et on abandonne certaines jusque-là, on vient de nous donner un autre rdv. Est-ce qu’ils reviendront alors pour corriger cela? Nous avons cru à un moment donné en nos représentants, mais malheureusement, ils semblent jouer le jeu de KHPC. Ils infiltrent les leurs parmi les riverains alors qu’en réalité, ils ne le sont pas. Mais le plus grave, ils lèsent certaines familles qui sont pourtant bel et bien vivantes et actives à Mbebe », se plaint Arthur conducteur de moto à Mbebe.
Lire aussi :Bôt-Makak : un vaste chantier à perte de vue !
Quant au chemin qui conduit les fils et filles de l’arrondissement de Bot-Makak et principalement ceux de Mbebe, « les ambitions fortes, l’emploi local avec plus de 3000 emplois au pic du chantier et surtout un emploi sur deux pour les locaux », il est encore lointain. « Si déjà pour recruter les enquêteurs, les riverains sont lésés, le renforcement des capacités de la main d’œuvre locale reste pour nous une utopie. Nous sommes des spectateurs qu’on a rendu passifs », dénonce le jeune Edouard qui n’est pas prêt de baisser les bras dans la quête de l’équité et surtout du respect des promesses faites lors des précédents échanges dans les chefferies.
A Mbebe, les populations trouvent que la chefferie n’est pas respectée, elle est juste une caisse de résonance dont on ne prend pas la peine d’écouter ou de prendre les avis. Les populations du village présentes dans l’association des riverains interlocuteurs avec KHPC sont désormais aussi indexés par certains riverains qui trouvent « qu’ils ne jouent pas bien leur rôle d’ambassadeurs et de défenseurs de l’intérêt général ». Vivement que l’étape des audiences publiques puisse venir corriger ces manquements et lever les craintes et les peurs. Sinon, on est parti vers des conflits interminables.
EL NASRI